Die Laienanalyse


 



Die Laienanalyse : l'analyse laïque ou profane ?
 

 Die Laienanalyse : l'analyse laïque ou profane ?

 Ces adjectifs laïque ou profane sont souvent employés pour qualifier la spécificité de l'analyse freudienne, et on parle aussi par ailleurs de la laïcité de la psychanalyse. Que doit-on entendre par-là ? 

  Ces expressions reposent sur une compréhension fautive du terme freudien : die Laienanalyse. C'est un mot composé de deux éléments, die Analyse, l'analyse au sens de pratique psychanalytique entre un analysé et un analysant dans le but d'explorer les mécanismes inconscients, et de der Laie,n,n, qui a deux sens principaux : a) le laïc (ou laïque) par opposition au religieux ; b) le profane, par opposition au spécialiste ; le contexte freudien fait référence ici sans ambiguïté au profane au sens de non-médecin. 

  D'où la traduction réelle du terme freudien : 

 "L'analyse pratiquée sans formation médicale / ouverte aux non-médecins."  

  C'est là un sujet important, et qui redevient d'actualité : L'analyste doit-il être médecin ? La question s'est posée en 1925, lorsque Theodor Reik, un des membres non-médecins de l'Association Psychanalytique de Vienne, a été accusé de charlatanisme du fait de sa pratique psychanalytique. Freud a traité ce sujet dans un écrit rédigé en 1926, intitulé précisément Die Frage der Laienanalyse : la question de l'analyse ouverte aux non-médecins. Il y eut également une postface en 1927.  

  Freud explique dans cet écrit à "un observateur impartial" qu'il invente pour l'occasion en quoi la psychanalyse et la médecine ont deux orientations très différentes, et décrit l'approche analytique des faits psychiques. Il résume en disant : "Celui qui a bénéficié d'une telle formation, qui a été lui-même analysé, qui a saisi de la psychologie de l'inconscient ce qu'on peut aujourd'hui en enseigner, qui est informé de la science de la vie sexuelle et qui a appris la délicate technique de la psychanalyse, l'art de l'interprétation, la lutte contre les résistances et la maniement du transfert, celui-là n'est plus un profane dans le domaine de la psychanalyse" : der ist kein Laie mehr auf dem Gebiet der Psychoanalyse. 

  Freud dit donc clairement que l''analyste n'est pas un profane bien que non-médecin, car il subit une formation théorique et pratique rigoureuse et difficile ; l'analyse n'est pas pratiquée par des béotiens ! — en ce sens, la traduction par analyse profane est très malheureuse, et l'analyse laïque tout à fait incompréhensible. 

  Mais Freud va plus loin et renverse même le propos de l'accusation, en conjurant les médecins de ne pas manifester un manque de respect tout à fait profane face à la recherche psychologique (laienhafte Respektlosigkeit vor der psychologischen Forschung). Il trouve même des accents prophétiques quand il déclare plus loin : Wir halten es nämlich gar nicht für wünschenswert, daß die Psychoanalyse von der Medizin verschluckt werde, und dann ihre endgiltige Ablagerung im Lehrbuch der Psychiatrie finde… 

 Traduction : "En effet, nous ne considérons pas comme souhaitable que la psychanalyse soit avalée par la médecine pour se voir reléguer ensuite définitivement dans un manuel de psychiatrie…" 

  On peut enfin s'interroger si, au sens propre, on peut parler de laïcité de la psychanalyse, au sens de neutralité face au fait religieux. Il apparaît difficile d'appliquer l'adjectif "laïque" à la psychanalyse freudienne, dès qu'on a lu Die Zukunft einer Illusion (L'avenir d'une illusion), Das Unbehagen in der Kultur (Malaise dans la civilisation) et Über eine Weltanschauung, (A propos d'une vision du monde) qui est la 35ème et dernière Nouvelle Conférence d'introduction à la psychanalyse, et dans laquelle Freud déclare à la 3ème page que la religion est le seul "ennemi sérieux" (der ernsthafte Feind) de la science.  

  On sait ce que Romain Rolland a répondu à Freud, après que celui-ci lui a envoyé "L'avenir d'une illusion" : Freud n'aurait pas vu que la source réelle de la religion est un sentiment "océanique", une façon de se sentir "relié à l'Etre" ce que Freud, après avoir reconnu ne pas connaître ce sentiment, essaiera d'expliquer dans "Malaise dans la civilisation" par un argument ontogénétique : l'être humain ne se différenciant pas à sa naissance du monde extérieur, il retrouvera plus tard ce sentiment océanique. Cet argument fait partie des explications les plus faibles du génie freudien.  

  Pourquoi Freud ne s'en tient-il pas à la vision kantienne du noumène et du phénomène (la métaphysique relevant du noumène, donc de l'inconnaissable) ? Il cite pourtant Kant dans Das Unbewusste : (L'inconscient) de 1915 en disant :  

Wie Kant uns gewarnt hat, (…) unsere Wahrnehmung nicht für identisch mit dem unerkennbaren Wahrgenommenen zu halten… 

 Traduction : "De même que Kant nous a mis en garde (…) de ne pas considérer comme identique notre perception et l'essence inconnaissable de ce qui est perçu…"  

  Pourquoi Freud fait-il franchir le Rubicon à la métapsychologie en allant au-delà des mécanismes psychiques à l'œuvre dans la perception névrotique de la religion, perception d'un sujet hic et nunc, pour faire de la psychanalyse — malgré sa dénégation dans Über eine Weltanschauung — une véritable vision du monde où le concept de Divin est farouchement nié ? On est face à ce qu'on est en droit d'appeler aujourd'hui une dérive scientiste, typique du XIXè siècle : l'image de la science triomphant de l'obscurantisme religieux ! Assurément, le génie de Freud aurait pu trouver mieux, quelque chose qui ait du souffle, loin de toute réduction périlleuse. Freud troque ici, hélas, l'habit du scientifique de génie pour celui du polémiste, mais cela ne remet en cause l'apport inestimable de ses découvertes dans le domaine du connaissable. Le dernier mot reste toutefois à Kant.

 
 



Créer un site
Créer un site